Les enfants d'Arachné
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 défense Alekhine...

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Date d'inscription : 14/04/2010

défense Alekhine... Empty
MessageSujet: défense Alekhine...   défense Alekhine... EmptyLun 14 Juin - 20:27

L’ouverture était mienne, je l’avais voulue slave, jouant ainsi en territoire connu de mon adversaire, j’en référais certes à son délicieux accent mais aussi à sa science du jeu ; sa réponse en gambit dévoilait clairement son envie d’en découdre rapidement, et si nul n’est prophète en son pays comme le dit le dicton, force était de constater qu’elle connaissait sur le bout de ses ongles, joliment nacrés, la réponse adaptée à mon audacieuse proposition. Elle avait su lire dans ma botte secrète tandis que je plongeais le regard dans les siennes, doux fourreaux de deux fines lames gainées de soie, foulant mon âme froissant mon calme pour me laisser pantois.
J’avais tout le mal du monde à demeurer insensible à tant de charme, mais je savais, du moins j’essayais de m’en convaincre, que je ne devais pas me déconcentrer davantage, il me fallait garder le contrôle de mes émotions pour ne pas perdre celui de l’échiquier ; cette partie était bien plus qu’un simple jeu, et tous les espoirs reposaient sur la qualité de ma prestation.
Nous n’étions qu’au début de la confrontation mais l’ultimatum m’avait sèchement été présenté, il me fallait gagner si je voulais repartir…
J’étais totalement fou d’avoir accepté ce défi, je ne savais que trop bien qui était mon adversaire, je n’avais même pas l’excuse de l’ignorance.
La Vierge de fer qui se trouvait face à moi et qui m’asphyxiait de son étau diabolique n’était autre que celle à qui j’avais vouée les dernières années de ma vie ; une enquête qui se voulait passionnante vite devenue passionnée, débutée il y a dix ans déjà et qui m’avait enjoint à suivre, aux quatre coins du globe, l’histoire et les pérégrinations de cette éternelle jeune demoiselle. Je la rencontrais en ce jour pour la première fois mais je savais déjà tout d’elle, ou presque… son passé, ses missions, ses crimes, et ses méfaits, il y avait tant à dire…

La victoire, cette doucereuse sensation dorlotant l’égo, venait de traverser la partie ; coup numéro 6, prise de risque maximale et capture de son fou. Coup numéro 7, réplique palpitante, sans rien y voir, échec au roi suivi d’une attaque en diagonale, ce n’est qu’une question de temps, ma tour d’ivoire est mise à mal.

Pour qui sait les maîtriser, les échecs deviennent bien plus qu’un simple jeu, il faut y voir le miroir de notre âme ; le reflet de la Dame noire ici se teinte d’une élégante provocation, et croyez-moi sur parole, plus d’un Roi en s’y mirant se transforma en l’un de ses pions…
S’il me faut n’en citer qu’un, permettez au vu de la situation, que je m’attarde sur le cas d’Alexandre Alekhine.
Grand Maître incontesté, notre héros surdoué, éleva le roi des jeux au rang d’œuvre artistique, mourant sur l’échiquier, tel Molière en scène, malade imaginaire, sa fin fut bien tragique…
L’homme fut retrouvé inerte à son domicile après avoir joué un ultime « échec et mat », le fait divers attira l’attention des foules et des autorités compétentes, mais le décès de l’Artiste, comme on aimait à le nommer, demeura pour tous une affaire inexpliquée… jusqu’à ce qu’un jeune étudiant féru d’espionnage ne s’y attarde.
Il faut dire que le génie venu du froid était pour le moins resté de glace face aux menaces des dirigeants de son pays, et que comble du déshonneur, devenu français d’adoption, il offrait à sa nouvelle nation pas moins de quatre titres de champion du monde ; avouez que dans un pays où les échecs font figure de religion, un tel comportement peut bien vite vous conduire sur l’échafaud d’un anathème.
Mars 1946, décédant contre toute attente, notre homme n’eût le loisir d’honorer le défi que lui avait lancé le champion russe ; selon tous les spécialistes de l’époque, Alekhine n’en aurait fait qu’une bouchée, voici la seule certitude qu’il emporta dans la tombe, le reste n’est que pure supposition…

Une brèche s’est ouverte il faut la colmater, mais comment donc endiguer l’inévitable assaut… Coups 11 et 12, le siège s’amorce, la cavalerie sonne la charge, bien fou qui compte les arrêter.

Le hasard fit que notre servant de Caïssa, alors qu’il profitait de la douceur du climat de Lusitanie, croisât la route du délicieux sujet de ma thèse : Larissa Dubanova, la veuve noire de Samara ; le registre du restaurant où ils firent connaissance en garde la trace. Ce patronyme, dont elle raffolait à se vêtir lorsqu’elle était en mission sonnait telle une allégorie de la mort. Une fois encore, il n’allait pas faillir à sa réputation…
Des témoignages de l’époque donnèrent quelques détails sur les échanges de commodités des deux convives : prise en passant puis jeux de fourchettes, nous devinons aisément la suite : position illégale, possible attaque en enfilade… qui sait… Sa Majesté des échiquiers fut décrite comme médusée par sa partenaire lorsqu’ils quittèrent le palace pour trouver davantage d’intimité.
Il n’est aucunement besoin de s’attarder sur l’issue de leurs badinages, rien que d’y penser mon esprit fantasque s’enflamme en une ronde véhémente où curiosité et jalousie s’étreignent d’une hargne violente.

Coup numéro 15, la dame noire quitte son repaire, je tente de lui jouer une mauvaise tour, fou puis cavaliers alors opèrent, arrivent fidèles à son secours.

Elle s’en alla au petit matin après l’avoir tué, dieu seul sait comment ; comme à chacun de ses homicides, la victime décède d’une fulgurante et inattendue attaque cérébrale. Les journaux s’empressèrent dès le lendemain de publier le célébrissime cliché…
défense Alekhine... Alekhine03b
« Cheikh Mat », le roi est mort…

En 1948, la Russie triomphait au championnat du monde et remportait chez elle un titre qui n’allait plus la quitter durant les cinquante prochaines années. Quant-à la mystérieuse Larissa, après avoir pris la poudre d’escampette, on n’entendit plus parler d’elle jusqu’à sa prochaine forfaiture, mais cela est une autre histoire…
Bien entendu, son nom apparut anecdotiquement les jours suivants dans quelques articles de presse mais l’incongruité du décès ainsi que l’absence de photographie de la suspecte principale, dont les épreuves sont, je tiens à le préciser, rarissimes et de très mauvaise qualité, eurent bien vite raison de la théorie du meurtre passionnel, qui s’essouffla sans mot dire tel le héros maudit de cet acte criminel.

Coup numéro 20, la cavalerie tient le siège, l’un de deux émissaires, sans doute trop téméraire, s’approche de mon rempart, le croit-il fait de liège ?
Coup numéro 21, la tentation est trop forte, je ne puis y résister, qu’il périsse humilié, pour m’avoir méprisé, son manque d’humilité, fait de lui une pièce morte.


Remonter la piste fut un travail de longue haleine, suivre la trace de la prédatrice, un incroyable périple semé d’indices, de jouissances et de déveines. Tous les détails rationnellement incohérents et disposés in situ bien des années avant même que je ne naisse, donnèrent à mon esprit les plus captivantes des nuits, les peines et l’allégresse ; une œuvre de titan que j’accomplis en l’espace d’une décennie me laissant dans l’isolement, et qui faillit, dans tous les sens du terme, ruiner ma dérisoire petite vie.
Mais le résultat est bien là, je me retrouve soixante ans plus tard, à la place du Maître, à la place du mort, angoissé quoique flatté à bien des égards de partager l’éventuel même sort. Et dans un silence ouaté, troublé du bruissement de morceaux de buis sur le marbre, plus que jamais mon existence semble battre à l’excitant rythme de la camarde. Cette dernière m’avait depuis toujours été décrite comme un odieux squelette à la mine décrépite, mais aujourd’hui je le sais, l’éternel repos se présente à nous par le biais de somptueux oripeaux : sublime femme dont les yeux brillent d’intenses flammes, être intemporel et sœur jumelle du prodige de la légende et de l’irréel.

Coup numéro 22, la tour éloignée de la Reine, la laisse libre de ses choix, et c’est d’une attaque sereine, qu’elle porte un violent coup au Roi.
La tentation s’est mû en piège agrémenté d’un sacrifice, quelle douloureuse prémonition, je suis victime du maléfice.


Curieux délires qui s’emparent d’un esprit se voulant jusqu’ici cohérent… certes je l’avoue, mais il est des fantaisies bien plus crédibles que toutes les réalités du monde. De ces fabulations qui permettent d’expliquer par exemple le fait que je viens de perdre une partie d’échecs face à une jeune femme qui selon toutes les justifications historiques est âgée de plus d’une centaine d’années. De ces contes où un simple petit étudiant sans aucune prétention, suite à une certaine publication sur un sujet des plus controversés, se retrouve espionné dans ses moindres faits et gestes par une quinzaine d’agents secrets. De ces sagas enfin, dans lesquelles un homme se voit ravir sa vie, maudit tel fantôme, et qu’au lieu de chagrin, savourant cet arôme, qui ne cesse de le ravir, il y voit son royaume.
Coup numéro 23, le bienheureux souverain se couche aux pieds de la Dame noire, échec et mat, les jeux sont faits...
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